LUDIVINE LARGE-BESSETTE
Démêler l'histoire
CENTRE D'ART ESPACE CROISÉ • ROUBAIX, FR
2022
Exhibition Text
Une femme, le genou à terre, est tirée en directions opposées par six hommes, deux par le bras gauche, trois par le bras droit, un par les cheveux. Sous la scène est écrit : “Cérémonie préliminaire d’un mariage, chez les sauvages”. Elle a lieu en Nouvelle Hollande, actuelle Australie. La légende et l’image traduisent une même vision coloniale qui offre à nos manuels d’histoire une certaine mythologie conjugale. Le mariage et la mort sous le même trait. La violence comme seul état d’être au monde. Nous sommes en 1820 et l’auteur de cette gravure, Sébastien Leroy, n’a jamais quitté la France. Entre le fantasme et la réalité subsiste la subjectivité du témoignage. Malgré les doutes, le dessinateur qui interprète devient celui qui perpétue. Cent années plus tard, l’image est bien accrochée dans les imaginaires collectifs occidentaux. En 1960, le groupe américain Spike Jones and his City Slickers chante “You always hurt the one you love” [Tu blesses toujours celle que tu aimes]. Le titre est illustré par une carte postale. Un homme debout, nu avec une massue, embrasse une femme allongée, maquillée avec une robe bustier. Il la tire d’une main par les cheveux. Elle, à terre, sourit.
Cette légende - des hommes dit “des cavernes” tirant des femmes par les cheveux - s’immisce dans nos représentations historiques et se répercute dans les interactions sociales contemporaines. Par l’enquête et la collecte de preuves matérielles - photographies, dessins, gravures et textes -, l’artiste Ludivine Large-Bessette en a fait son sujet de recherche. Elle extrait de l’Histoire, du cinéma, de la télévision, des magazines, la représentation d’un mythe qui se propage sans sous-titres. Stéréotype des hommes dominant un objet de désir - les femmes -, la posture est répétée, indélébile. Une image subjective qui engendre un comportement suggéré vis-à-vis des femmes : la soumission de leurs corps. Elles, ainsi gelées, dans une représentation qui ne leur a jamais appartenu. Elles, traînées, qui ne progressent plus sur leurs propres jambes. Elles, captives, rendues à l’état animal. Mais vers où sont-elles ainsi tirées par les cheveux ? Vers la grotte, le foyer, l’espace domestique. Vers le “devoir” présupposé par leur sexe. Vers tout ce qui s’oppose à leur émancipation. Construite, étudiée, appliquée, cette incarnation fictive des rapports conjugaux instruit, inconsciemment ou non, une méthodologie de la violence.
Sous la tresse de cheveux tirée à l’extrême, sous l’enfermement du corps de ces inconnues malmenées par l’Histoire et ses auteurs, Ludivine Large-Bessette imagine un nouveau récit de ce mythe. Comme pour le défaire, ou pour lui faire suite, elle réalise une série de chapitres composés de films et d’installations à partir de cheveux piégés dans des mains omniscientes. En introduisant des stratégies de délivrance, en articulant l’expression de la sororité, en chorégraphiant des corps en résilience, elle propose un scénario libérateur.
À la racine, elle fait résonner cette interrogation : “Comment faire le deuil de cette histoire ?”. À la chute, elle restitue une possible réconciliation.
Anne Bourrassé
LUDIVINE LARGE-BESSETTE
Démêler l'histoire
CENTRE D'ART ESPACE CROISÉ • ROUBAIX, FR
2022
Exhibition Text
© Ludivine Large-Bessette
Une femme, le genou à terre, est tirée en directions opposées par six hommes, deux par le bras gauche, trois par le bras droit, un par les cheveux. Sous la scène est écrit : “Cérémonie préliminaire d’un mariage, chez les sauvages”. Elle a lieu en Nouvelle Hollande, actuelle Australie. La légende et l’image traduisent une même vision coloniale qui offre à nos manuels d’histoire une certaine mythologie conjugale. Le mariage et la mort sous le même trait. La violence comme seul état d’être au monde. Nous sommes en 1820 et l’auteur de cette gravure, Sébastien Leroy, n’a jamais quitté la France. Entre le fantasme et la réalité subsiste la subjectivité du témoignage. Malgré les doutes, le dessinateur qui interprète devient celui qui perpétue. Cent années plus tard, l’image est bien accrochée dans les imaginaires collectifs occidentaux. En 1960, le groupe américain Spike Jones and his City Slickers chante “You always hurt the one you love” [Tu blesses toujours celle que tu aimes]. Le titre est illustré par une carte postale. Un homme debout, nu avec une massue, embrasse une femme allongée, maquillée avec une robe bustier. Il la tire d’une main par les cheveux. Elle, à terre, sourit.
Cette légende - des hommes dit “des cavernes” tirant des femmes par les cheveux - s’immisce dans nos représentations historiques et se répercute dans les interactions sociales contemporaines. Par l’enquête et la collecte de preuves matérielles - photographies, dessins, gravures et textes -, l’artiste Ludivine Large-Bessette en a fait son sujet de recherche. Elle extrait de l’Histoire, du cinéma, de la télévision, des magazines, la représentation d’un mythe qui se propage sans sous-titres. Stéréotype des hommes dominant un objet de désir - les femmes -, la posture est répétée, indélébile. Une image subjective qui engendre un comportement suggéré vis-à-vis des femmes : la soumission de leurs corps. Elles, ainsi gelées, dans une représentation qui ne leur a jamais appartenu. Elles, traînées, qui ne progressent plus sur leurs propres jambes. Elles, captives, rendues à l’état animal. Mais vers où sont-elles ainsi tirées par les cheveux ? Vers la grotte, le foyer, l’espace domestique. Vers le “devoir” présupposé par leur sexe. Vers tout ce qui s’oppose à leur émancipation. Construite, étudiée, appliquée, cette incarnation fictive des rapports conjugaux instruit, inconsciemment ou non, une méthodologie de la violence.
Sous la tresse de cheveux tirée à l’extrême, sous l’enfermement du corps de ces inconnues malmenées par l’Histoire et ses auteurs, Ludivine Large-Bessette imagine un nouveau récit de ce mythe. Comme pour le défaire, ou pour lui faire suite, elle réalise une série de chapitres composés de films et d’installations à partir de cheveux piégés dans des mains omniscientes. En introduisant des stratégies de délivrance, en articulant l’expression de la sororité, en chorégraphiant des corps en résilience, elle propose un scénario libérateur.
À la racine, elle fait résonner cette interrogation : “Comment faire le deuil de cette histoire ?”. À la chute, elle restitue une possible réconciliation.
Anne Bourrassé