Elles sont alignées sur une immense étendue de bitume. Les Autolib’ de l’entrepôt en Sologne patientent à l’arrêt depuis plus de cinq années. 500 voitures financées par nos collectivités, puis éclipsées de la circulation. Depuis, nature et usure se propagent sur les pare-brises fissurés. Elles patientent dans leur cimetière à perte de vue. À perte.

Il arrive entier, le cuir né de la peau d’un animal et transformé par les tanneries de Normandie. À Paris, proche République, il est séparé en deux par la tranche. Face, la partie nommée peau. Le derme du cuir de 3 millimètres d’épaisseur ira aux maisons de luxe. Pile, le “split leather” [croûte de cuir]. Le surplus de peau inutilisée sera conservé pour invendu, avec le statut illégitime de chute.

Et les récits se multiplient.

À partir de l’inutile, du désuet, du brisé, du déchet, et du désintérêt, les chutes sont ainsi accumulées dans nos villes. Formés en 2019 à Eindhoven aux Pays-Bas sous le nom “Adaptism”, les artistes-designers Eliott Vallin et Paul Youenn conçoivent de nouvelles interprétations formelles, esthétiques et fonctionnelles à partir de matières et objets inactifs. À ce processus, ils mêlent l’ADM - Argentique Digitale Mobile - une méthode photographique auto-initiée pour générer de nouvelles représentations visuelles de la chute. Tiré des excès - de la mondialisation, de la surconsommation, de l’industrie de la mode -, les reliquats sont repensés pour réinsertion. Valoriser les rebus devient leur méthodologie de travail. Donner une nouvelle humanité aux pertes devient leur perspective de société.

Anne Bourrassé